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Dans le Carton
28 février 2017

Les deux grâces de Jacqueline Sauvage

Ainsi, en cette fin d’année 2017, François Hollande aura fait ce qu’aucun chef d’Etat français n’a été capable de faire depuis la plus haute antiquité : gracier deux fois la même personne et à quelques mois d’intervalle. En accordant à Jacqueline Sauvage une grâce totale le 28 décembre 2016 après lui avoir accordé une grâce partielle le 31 janvier 2016, François Hollande banalise ainsi l’une des dernières institutions régaliennes de la République. Le droit de grâce, qui permet au président de la République de changer le destin d’un homme par une décision souveraine, qui n’est soumise à aucun contrôle, à aucun recours, est le symbole même du tragique qui s’attache à l’exercice du pouvoir. D’un trait de plume, le président peut libérer un criminel dangereux, ou au contraire maintenir en prison un homme innocent. Et sa décision est finale. Un peu comme le bouton nucléaire : on ne peut ensuite dire « merde, je me suis trompé, on va changer ça ». Pour conserver son pouvoir symbolique, une telle décision doit être irrévocable. Autrement, le citoyen pourrait penser qu’elle est prise à la légère, sans réflexion profonde, en fonction de considérations politicardes. Seulement voilà, avec Hollande rien n’est « irrévocable ». La décision du 31 janvier, nous a-t-on dit, reflétait l’intime conviction et les valeurs éthiques du président. Onze mois plus tard, les convictions et l’éthique du président ne sont plus les mêmes. Peut-être ont-elles varié depuis que François Hollande n’est plus candidat ? Doit-on conclure que la grâce est accordée ou refusée en fonction de basses considérations électorales ? La réponse, malheureusement, est positive: le Hollande de janvier 2016 était préoccupé par sa candidature, et a cherché - comme à son habitude - à ménager la chèvre et le chou. Il a donc fait plaisir aux "bienpensants" qui demandaient la grâce tout en évitant de prendre de front la masse de la population qui reste opposée à un "permis de tuer", tout en comptant sur la justice pour accorder à Jacqueline Sauvage une liberté conditionnelle rapide qui mette fin à l'affaire. Le François Hollande de la fin 2016 n'est plus candidat, et peut se permettre de suivre ses véritables penchants... Mais au-delà de l’attitude de François Hollande, l’affaire Jacqueline Sauvage illustre le pouvoir des idéologies « victimistes ». Si l’on croit ses partisans, Jacqueline Sauvage est une victime, dument estampillée comme telle, et à ce titre elle a tous les droits, y compris celui de prendre impunément la vie d’un être humain. Mais qui dont distribue les certificats de « victime » ? Qui décide qu’untel mérite le label, qu’un autre ne le mérite pas ? Le bijoutier qui tire sur un voleur qui l’a frappé, le policier qui tire sur un délinquant qui essaye de l’écraser avec sa voiture sont trainés dans la boue. Pourtant, leurs agresseurs étaient eux aussi « violents ». N’ont-ils pas, eux aussi, droit à une interprétation extensive de la notion de « légitime défense » ? Et pourtant, pour eux, il n’y a pas de pétition de grâce, de comité de soutien plein de vedettes politico-médiatiques. Eux ne sont pas des « victimes », tout au contraire, c’est le voleur ou le délinquant qui auront droit à des « marches blanches » et autres manifestations communautaires pour exiger que « justice soit faite ». L’idéologie « victimiste » est en train de casser la notion même de justice pour lui substituer une logique de statuts personnels, ou les droits et les devoirs de chacun dépendent de son appartenance – ou non appartenance – à tel ou tel groupe. Un acte sera qualifié de « crime » s’il est commis par un membre d’un groupe donné, alors qu’il sera excusé et même soutenu lorsqu’il est commis par le membre d’un autre. Ce qui, bien entendu, donne un pouvoir immense à la caste qui détient le pouvoir de délivrer les certificats de victimisation. Au nom de leurs opinions, les partisans de la grâce de Jacqueline Sauvage remettent en question les principes fondamentaux de toute justice. D’abord, le principe qui veut que nul n’est habilité à se faire justice lui-même. Mais surtout, en remettant en cause l’idée que la justice est rendue au nom du peuple par des magistrats et des jurés sur le fondement d’un débat contradictoire et des lois. En effet, il y a là un autre élément essentiel de cette affaire qu’on a tendance à oublier. Jacqueline Sauvage a été jugée deux fois par une Cour d’Assises, en d’autres termes, par un jury populaire composé de citoyens tirés au sort sur les listes électorales. Par deux fois, les avocats de Jacqueline Sauvage ont pu exposer devant ce jury leurs arguments. Par deux fois les jurés ont entendu les témoignages larmoyants de la prévenue et de ses filles décrivant les violences qu’elles auraient prétendument (1) subies de la part du mari de Jacqueline. Et par deux fois, les jurés ont condamné Jacqueline Sauvage. Alors, la question se pose : à qui faut-il faire confiance ? A vingt-sept citoyens français dont vingt et un tirés au sort qui ont passé des jours et des jours à entendre des témoignages, à examiner des preuves, à écouter des plaidoiries pour se faire une opinion, ou à quelques centaines de milliers qui ne connaissent de l’affaire que ce qu’on rapporté les journaux et qui cliquent en bas d’une pétition (2) ? L’affaire Sauvage consacre l’idée que la justice est une question d’opinion, et non de faits et de règles (3). Que selon que l’accusé – et la victime – est sympathique ou antipathique, le verdict doit être différent. C’est là une pente très dangereuse : comme le disait un grand écrivain américain, « une société libre est une société où il n’est pas dangereux d’être impopulaire ». Or, l’épilogue de l’affaire Sauvage montre que celui qui se rend « impopulaire » aux yeux de la société peut être tué dans le dos en toute impunité, et que cette impunité est « une victoire pour toutes les femmes qui subissent des violences » (selon l’ineffable déclaration publiée par le PCF).

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Les pensées de Thomas Carton, face à l'actualité, la vie et le monde.
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